9 mars 2010

Tour Courbet

Mardi 2 mars 2010. PAF - Cataractes

Il est aux alentours de 9h quand nous nous rejoignons au L5, Laurence, Maurice et moi. Je viens de passer en cuisine pour récupérer le peu de nourriture que nous allons emporter.

Les sacs sont enfin prêts et nous pouvons prendre la route pour notre première étape du Tour Courbet. 6h de marche nous attendent. Si tout se passe bien, nous devrions être à la cabane de Cataractes vers 16h en tenant compte de la pause déjeuner.

Le transit PAF-Cataractes est et sera la seule étape où nous ne longerons pas la côte. Bien au contraire, c’est une longue marche dans un décor aride, presque stérile, qui nous fait face.

Sans nous en rendre réellement compte, nous prenons petit à petit de la hauteur. La péninsule Courbet se dévoile à nos yeux par cette météo claire et dégagée. De multiples lacs et rivières sont visibles et nous mesurons la chance que nous avons de ne pas avoir à contourner ou traverser chacun d’eux. Le caillou est une valeur sûre! Depuis les hauteurs, nous pouvons presque reconstituer chacune des étapes qui constitueront notre périple. Nous n’aurions pas pu faire mieux comme introduction!

Vers 13h, au passage d’un col, nous apercevons enfin la côte Nord de la péninsule ainsi que l’Anse de Betsy à proximité de laquelle se trouve la cabane. Sommes nous arrivés pour autant? Non, il nous aura encore fallu 3h de marche pour arriver à la cabane de Cataractes.

Située à 300m de la plage, elle est installée sur les hauteurs, au niveau d’un coude de la rivière Cataractes. Depuis les deux modules rouges qui la constituent, nous bénéficions d’une vue magnifique. D’un côté, la cascade de la rivière. De l’autre, l’embouchure de cette même rivière qui vient se jeter dans l’Océan Indien. Les vagues viennent se fracasser contre le rocher. En arrière plan, l’océan à perte de vue et les falaises abruptes de la Baie des Cascades…un décor de rêve!

Bonbon

La cabane par contre est dans un triste état.

Le premier module, le plus récent, est aussi le plus petit. Une table branquignole et quelques touques font offices de salle à manger. Une petite étagère sur laquelle est posée un camping gaz fait quant à elle guise de cuisine…on se sent à l’étroit! L’avantage c’est que tu n’as pas besoin de te lever de ta touque pour cuisiner!

Le deuxième module, plus spacieux, sera notre chambre à Laurence et moi.

Et là, on va de surprise en surprise!

Dehors il pleut. Et nous ne tardons pas à découvrir qu’il pleut aussi à l’intérieur.

Avec Laurence, nous décidons donc de nous installer dans l’entrée…seul espace au sec. Et nous recouvrons les deux matelas avec une couverture qui avait semble-t-il connue l’assaut des souris!

En bref, une «super» nuit en perspective.

Je m’enferme dans mon sac de couchage et finis par m’endormir malgré le clapotis de l’eau qui goutte du plafond.

Mercredi 3 mars 2010. Cataractes

8h30…je suis réveillé par Laurence qui vient de pousser un petit cri.

- Qu’est ce qui se passe?

- Je viens de voir une souris au-dessus du matelas, juste à côté de toi!

Ni une, ni deux, je bondis hors de mon sac de couchage…une bonne journée qui s’annonce. En même temps, 8h30, c’est une heure raisonnable pour commencer à s’activer un peu!

Je glisse le nez dehors, résolu à aller faire chauffer un thé. Je comprends alors pour la deuxième fois en moins de 10 min que la journée s’annonce bien! A l’extérieur, il y a du brouillard à couper au couteau, il pleut et il y a du vent. Impossible de travailler dans ces conditions.

Nous passons donc la matinée dans la cabane. L’occasion d’apprendre à Laurence à faire du crochet.

A midi, après un bon Couscous royal en conserve, nous décidons de partir sur le terrain…direction Anse de Betsy pour réaliser des prélèvements de plantes. Mais pour ça, il nous faut atteindre l’autre rive de la rivière Cataractes.

Première tentative par l’embouchure mais la marée est haute. Le passage est impossible.

Nous décidons donc de remonter la rivière pour trouver un secteur moins profond et avec moins de débit. Après 45min de marche, nous abandonnons…la pluie de la veille ayant alimenté le lit de la rivière…retour au point de départ…la cabane!


Jeudi 4 mars 2010. Cataractes – Cap Cotter.

Troisième jour de manip et deuxième jour de marche.

Aujourd’hui, nous faisons cap sur Cap Cotter soit environ 4h30 de randonnée.

Le décor est à l’opposé de celui traversé pendant le premier transit. Nous quittons les paysages désertiques pour longer la côte Nord de la Péninsule Courbet.

Le ciel est dégagé mais le vent souffle. Poussé par les rafales, l’océan est déchaîné. Les déferlantes atteignent 3-4 mètres et viennent s’écraser sur le rocher propulsant leurs embruns sur une dizaine de mètre de hauteur.

C’est une nature brute que nous découvrons. L’Eau, l’Air et la Terre se font face et s’opposent dans un combat violent et pourtant si beau à contempler.

Au milieu de cette guerre des éléments, la faune continue de nous surprendre. Et je fais trois nouvelles rencontres.

Tout d’abord, le Grand Albatros. Avec près de 3m50 d’envergure, il est l’un des plus grands oiseaux au monde. Ce géant des airs ne semble aucunement gêné par la force des vents. Il continue de planer malgré les rafales. Certains individus sont encore sur nid et il nous est possible de les approcher. D’un blanc immaculé et d’une taille énorme il nous est impossible de les rater ! De loin, on voit de grosses tâches blanches!


parade de Grand Albatros


colonie de Gorfous macaroni

Deuxième rencontre, les Otaries. De la taille d’un chien de taille moyenne, elles ont le caractère d’un caniche. Argneuses, elles ne cessent d’être sur la défensive dès qu’on passe près d’elles. Elles se dressent sur leurs pattes avant et grognent en montrant les dents. Attention, ça mord!

Troisième rencontre, et pas des moindres, les colonies de Gorfou macaroni. Ils sont là, plantés au flanc de la côte, exposés aux embruns et au vent. Serrés les uns contre les autres, ils sont des milliers. Un spectacle fascinant auquel nul ne peut rester insensible.

Nous arrivons à la cabane vers 14h. Spacieuse et confortable, sèche et lumineuse…ça fait du bien.

Nous profitons de l’après midi pour partir à l’assaut du Mont Campbell, qui du haut de ses 250m, avait constitué un excellent repère visuel au cours du transit.


Vendredi 5 mars 2010. Cap Cotter – Cap Noir

Cap Noir, lieu de refuge à l’issue de notre troisième étape du tour Courbet.

Un ciel ouvert et le vent de dos…parfait pour profiter pleinement de ce transit, une fois de plus chargé en émotions.

Les colonies de Gorfou macaroni laissent place aux colonies d’otaries. Tranquillement installées sur des tapis de Leptinella plumosa aux douces odeurs de miel, elles se dorent au soleil…il faut en profiter tant qu’il y en a! Surprises par notre arrivée, elles se dressent, grognent et cherchent à nous intimider. Quelques unes, plus téméraires, n’hésitent pas à nous attaquer. Difficile de garder son sang-froid quand on voit toutes ces petites dents acérées!

Pourquoi sont-elles si agressives à notre égard ? En fait, tout comme les éléphants de mer, la posture avec le torse dressé est un signe d’attaque. Nous, chers bipèdes que nous sommes, sommes donc pris pour des agresseurs. Elles se contentent donc de défendre leur territoire! Il faudrait tester de traverser une colonie en rampant histoire de vérifier cette hypothèse! Un volontaire?

Après 3h de marche, nous apercevons la cabane de Cap Noir. Blottie au sommet du cap, elle semble être à la fois sur terre et en mer. Encore une cabane depuis laquelle la vue promet d’être grandiose.

Encore 30min de marche et nous atteignons notre nouveau logis implanté au beau milieu d’une colonie d’otaries…il faudra se méfier à la nuit tombée! Ca serait dommage de se faire mordre en allant au petit coin!

Avec Laurence, nous profitons d’avoir l’après-midi et une météo clémente pour revenir sur nos pas. Nous avions repéré de superbes stations à Poa Cookii à flan de falaise…l’occasion de faire quelques prélèvements.

Mais comme à chaque fois à Kerguelen, les manips boulot gardent un grand intérêt «touristique». Nous avons le plaisir de pouvoir approcher des poussins d’Albatros fuligineux (une vingtaine de nid) qui tels des quilles au duvet gris nous regardent d’un air inquiet en claquant du bec. Les adultes ne sont pas loin et poussent des cris qui font penser à des lamentations.

Demain, nous continuons notre transhumance pour rejoindre Ratmanoff et ses manchots royaux…ils sont près de 150.000 à nous attendre!


Dimanche 7 mars 2010. 8h Ratmanoff

Je suis là, assis en indien sur la terrasse de la cabane du Guetteur. J’observe l’un des plus beau spectacle qu’il m’ait été donné de voir. Des visions comme celle-ci, qui vous prend dans les tripes, on a envie de les prolonger et de s’en imprégner au maximum.

Je ne vois pas. Je ressens ce qui m’entoure.

Et les mots ne me viennent pas pour décrire cette magie que seule la nature est capable de créer.

Le soleil me réchauffe la peau. Le doux bruit des vagues peine quant à lui à recouvrir le chant et les cris de ces milliers de Manchots royaux.

Devant moi, à perte de vue, s’étend la colonie de Ratmanoff. Ils sont plus de 150.000, regroupés et serrés les uns contre les autres pour former la deuxième plus grosse colonie de Manchot royal au monde.

colonie de Ratmanoff

Tous mes sens sont sollicités. J’ai comme l’impression de n’être qu’une extension, un prolongement de cette scène. Toutes mes cellules vibrent, se synchronisent et s’harmonisent avec ce spectacle. Je suis en symbiose avec ce qui m’entoure et je me sens terriblement bien.

Pourquoi sont-ils regroupés là?

En fait, après l’accouplement, l’œuf est pondu, placé sur les pattes et recouvert d’un bourrelet de peau afin de le garder au chaud. Le partenaire qui n’a pas l’œuf part alors en mer pour se nourrir. Cela peut prendre plus d’une dizaine de jours. A son retour dans la colonie, il doit retrouver le couveur. Comment se reconnaissent-ils au milieu de cette foule? Par le chant. Car chaque individu a un chant qui lui est propre et que les partenaires savent reconnaître. A l’approche de la colonie, le partenaire parti en mer chante. Le second lui répond. Guidé par le son, ils parviennent à se retrouver.

Dès lors, les rôles sont inversés. L’œuf est échangé sans perdre de temps car les prédateurs (Skua et Pétrel géant) guettent la moindre erreur. C’est alors au tour de l’ancien couveur de partir en mer pour se nourrir.

Au cours d’un voyage, ils peuvent prendre plusieurs kilos et stockent la nourriture dans leur jabot. Elle sera régurgitée plus tard au poussin en fonction des besoins de ce dernier.

Le cycle se répète jusqu’à ce que le poussin, trop gros pour tenir entre les pattes des parents, devienne un peu plus autonome. Il regagne la crèche formée par l’ensemble des poussins de la colonie. Ils ne sont pas encore capables de se nourrir par eux même donc ils réclament de la nourriture au premier adulte qui passe. Et parfois, ça fonctionne. L’adulte, dans un élan de générosité, lui lègue un peu de cette précieuse mixture qu’il conserve dans son jabot.

Manchots royaux

Pour revenir à notre tour Courbet, hier nous avons marché environ 5h30 pour rallier Cap Noir à Ratmanoff. Une grande partie du transit se faisant sur la plage de sable noir…un décor encore radicalement différent de ce que nous avions vu les jours précédents.

Nous avons entre autre croisé les cadavres d’une centaine de Globicéphales qui se sont échoués il y a 2 mois sur la plage qui longe le lac Marville. Au milieu de tous ces ossements, nous sommes heureux d’apercevoir ces petits groupes de Papous et de Manchots qui flânent sur la plage.

Nous avons rejoins Anette et Alexis à la cabane du Guetteur vers 15h30. Que font-ils? Ils guettent le retour d’individus marqués et équipés de balises GPS, Argos et d’une série d’autres capteurs. Du lever au coucher du soleil, 7j/7, ils se relayent par tranches de 3h depuis plus d’un mois pour ne pas louper leur retour…

La cabane est placée au bord de la manchotière. C’est presque une villa en comparaison aux autres cabanes que nous avons visité.

cabane du Guetteur (Alexis cette année!)

Aujourd’hui, il nous faut malheureusement quitter ce cadre idyllique pour nous diriger vers Morne.

Dimanche 7 mars 2010. Ratmanof – Morne

Il est 21h et me voilà enfin dans mon duvet. Nous avons quitté, non sans mal, la manchotière de Ratmanoff vers 10h.

Après une heure de marche sur la plage, toujours entourés par les manchots, nous finissons par rejoindre les traces du tracteur. Le chemin est désormais tout tracé et il est triste de devoir marcher dans les ornières après plusieurs jours en totale immersion.

Papou

Le trajet jusqu’à Morne est long, presque interminable.

A l’heure de midi, nous passons à côté d’un cadavre de jeune Cachalot sur lequel les Pétrels géants se chargent du nettoyage!

Puis nous arrivons à la rivière des Calcédoines. Rien de spectaculaire à première vue. Mais dès qu’on regarde au sol, on découvre de petites pierres polies :les Calcédoines. Aux teintes multiples, veinées de cristaux, elles sont vraiment magnifiques.

A ce stade, nous avons encore deux heures de marche et au loin, la cabane est déjà visible…on a l’impression de ne pas avancer.

Ne nous reste plus traverser le désert de Morne et nous serons arrivés.

Il est 17h quand nous franchissons la porte de la cabane qui a des allures de refuge de montagne.

Quant au site, il n’a de morne que le nom. Le cadre est certes moins impressionnant que celui des jours précédents mais il n’en reste pas moins magnifique. Des éléphants de mer, des otaries, des pétrels géants,…nous ne sommes une fois de plus pas seuls.


Morne

Lundi 8 mars 2010. Morne – PAF

Les marches les plus courtes ne sont pas forcément celles qui paraissent les moins longues. Preuve en est avec cette dernière étape du tour.

En fait, on se rend rapidement compte que quand on marche, on finit par se déconnecter de la notion temporelle. Seules la distance parcourue et celle qu’il reste à effectuer servent de repère.

Les choses se compliquent quand un repère visuel est visible du début à la fin! Et c’est malheureusement le cas du transit jusque PAF. Le château d’If (situé dans la Baie norvégienne) et la boule du CNES (près de la base) sont comme un fil rouge. Du coup on a l’impression de ne pas avancer et ça devient difficile psychologiquement.

Nous mobilisons l’énergie qu’il nous reste et au bout de 4h de marche, nous arrivons enfin au bâtiment géophy où on vient nous chercher en voiture.

La boucle est bouclée.