1771 / 1772
Deux bateaux, La Fortune et Le Gros Ventre, constituent la flotte de la première expédition du chevalier de Kerguelen.
A l'approche des côtes de cette terre inconnue, Yves de Kerguelen (à bord de La Fortune) donne l'ordre au Gros Ventre de s'approcher.
Nous sommes le 13 février 1772 quand Boisguehenneuc, Mengam et Rosily prennent possession de l'archipel « au nom du roi de France » en déposant une bouteille renfermant l'acte rédigé par Kerguelen.
Si Yves de Kerguelen n'a pas pu mettre pied à terre au cours de cette première expédition, il en fut de même lors de son second voyage sur l'île. L'archipel porte aujourd'hui le nom d'un homme qui n'y a jamais débarqué.
S'en suit une longue période pendant laquelle la France se détourne de l'île que les marins, phoquiers et chasseurs de baleines (surtout anglais et américains) nomment Île de la Désolation. Terre inhospitalière, sans arbres et aux ressources minérales limitées, il faudra attendre le début du XXe siècle pour que l'archipel intéresse de nouveau la France. Elle accorde au frères Bossières le droit d'exploitation sur Kerguelen qui se traduit par la naissance de Port Jeanne d'Arc (station baleinière) et de Port Couvreux (élevage de moutons).
A la même période, en 1908 / 1909, les frères Raymond et Henri Rallier du Baty explorent longuement les îles Kerguelen à bord du J.B Charcot. Raymond reviendra en 1913 / 1914 à bord de La Curieuse.
22 décembre 2010
J'embarque sur La Curieuse (qui tient son nom du bateau à bord duquel Raymond Rallier du Baty réalisa sa seconde expédition à Kerguelen). A la même date, un an auparavant, ce fier chalutier avalait les miles nautiques pour me conduire sur l'archipel. Rien n'a changé à bord. Je retrouve son odeur, le bruit et les vibrations de ses moteurs que je ne peux m'empêcher d'associer au goût de l'aventure. C'est presque comme si je ne l'avais pas quitté. Comme si mon année d'hivernage à Kerguelen n'avait été qu'un rêve.
Nous quittons le mouillage de Cimetière vers 23h et faisons cap vers la Péninsule Rallier du Baty (en hommage aux explorateurs Raymond et Henry Rallier du Baty).
23 décembre 2010
Après une nuit de navigation nous apercevons au loin les massifs de la péninsule qui marque l'extrême Sud-Ouest de Kerguelen.
Ce n'est que dans la matinée que nous nous engageons dans la profonde Baie de La Mouche. Cette dernière porte le nom de la chaloupe qui servit lors du premier débarquement sur l'île. Pour la petite histoire, cette même chaloupe, gênante et trop lourde pour être embarquée, fut abandonnée au large de l'entrée de cette baie.
Il est environ 13h30 quand nous jetons l'ancre dans le fond de la baie. L'endroit est très bien abrité du vent et de la houle. Une zone de mouillage idéale. Ça tombe bien car nous passerons les nuit suivantes à bord. Il est superflu de préciser comme il est appréciable de dormir et manger sans être balloter dans tous les sens.
Pas de temps à perdre, le travail nous attend. Nous embarquons sur le Zodiac pour être déposés à la cabane de La Mouche. Il faut savoir que de manière générale, la Péninsule Rallier du Baty est une partie de Kerguelen très rarement fréquentée par l'Homme. De plus, les vents dominants orientés Sud-Ouest ont servi de rempart contre la dissémination des espèces végétales introduites. Nous sommes donc sur un site encore bien préservé.
Notre rôle est avant tout de faire un état des lieux en décelant la trace éventuelle de plantes et d'insectes introduits. En parallèle, nous sommes en charge de réaliser des fiches de description des milieux pour le laboratoire et la Réserve Naturelle.
Pour cette première journée sur Rallier du Baty la météo aura été des plus clémentes. Et de retour sur La Curieuse nous avons la chance d'observer un magnifique crépuscule. Le soleil bas filtre alors dans les nuages et inonde la baie d'une lumière rasante et chaleureuse. Le vent est presque nul. L'eau est un miroir. Une ambiance des plus paisible et reposante.
24 décembre 2010
Si j'avais a dessiné une île vierge, le paysage ressemblerait certainement à celui qui se dresse sous mes yeux. C'est la pensée qui m'a frappé une fois sur le pont après le réveil.
Les sommets qui encadrent la baie sont dissimulés par le plafond nuageux. Quelques nappes de nuages bas s'engouffrent dans les vallées et avalent temporairement les flancs de montagnes. L'horizon est noyé dans la brume. Ciel et mer ne font qu'un.
Il est 8h quand nous prenons de nouveau la direction du havre où est blottie la cabane de La Mouche. Commence alors une nouvelle journée de prospection et de description. Nous nous concentrons d'abord sur la partie ouest de la vallée des Contacts (structure géologique) puis longeons la côte pour regagner l'embouchure de la vallée de La Mouche.
Malheureusement la météo se gâte et nous passons l'après midi sous la pluie. Qu'importe, nous mesurons la chance que nous avons de fouler une partie du globe que seule une poignée d'Hommes ont eu la chance ne serait-ce que d'apercevoir.
Ce soir c'est le réveillon de Noël. Pour l'occasion, passagers et équipages se rejoignent en passerelle pour prendre l'apéro. Nous partageons également le dîner dans une ambiance bon enfant. Pas de guirlandes, pas de sapin, pas de paquets multicolores et rubanés. Nous célébrons l'événement en toute simplicité sur fond grandiose de Rallier du Baty. C'est un cadeau qui n'a pas de prix.
25 décembre 2010
Il y a un an jour pour jour, j'apercevais pour la première fois les côtes de Kerguelen après 10 jours de navigation. Un an et je prend une fois de plus conscience que le temps est passé a une vitesse infernale.
A 6h30 je suis réveillé par le bruit des moteurs qui démarrent. Aujourd'hui, il est prévu de passer la journée dans la vallée de Larmor. Sitôt debout je sors sur le pont pour prendre la température. Je découvre alors un paysage radicalement différent de ce qu'il était la veille. Le Père Noël est passé à Kerguelen, laissant dans son sillage une fine pellicule de neige.
Si le paysage semble pacifique sous son manteau blanc, ce n'est pas le cas de la mer qui a forci dans la nuit. Rapidement, il devient in-envisageable de débarquer à terre par Zodiac. Nous retournons à l'abri au mouillage.
Après deux heures d'attente, le vent a molli et la houle s'est calmée. Nous tentons donc une seconde sortie dans la vallée de La Mouche dont nous n'avions aperçu que l'embouchure la veille. La dépose en Zodiac se fait aisément et nous remontons la vallée.
Elle est d'une incroyable beauté. Rabotés par des glaciers aujourd'hui disparus, les reliefs s'inclinent et laissent place à une immense plaine alluviale couleur sienne. Un désert on ne peut plus plat serti par des montagnes rongées par les glaces. Le tout est plongé dans un délicat jeu de lumière que les nuages, le vent et le soleil mettent en scène. Le contraste est saisissant, insolite et harmonieux.
26 décembre 2010
Aujourd'hui plus qu'à n'importe quel autre moment, je me sens projeté dans le passé de l'archipel.
C'est notre dernière journée sur la Péninsule Rallier du Baty. Une dépose est prévue pour explorer la vallée des Sables, ou du moins une partie. La Curieuse jette l'ancre dans l'Anse du Gros Ventre. C'est dans cette même anse que fut mis à l'eau le canot La Mouche embarqué à bord du Gros Ventre, second bateau qui participa à la première expédition dans les îles Kerguelen.
En ce qui nous concerne, nous embarquons à bord du Zodiac et nous dirigeons vers la plage. Qui sait, nous réalisons peut être le même trajet que celui réalisé par La Mouche le 13 février 1772. La plage où nous descendons s'appelle Plage de la Possession. C'est ici même que l'archipel est devenu territoire français. Ici même qu'un Homme a, pour la première fois depuis sa naissance il y a plusieurs millions d'années, posé un pied sur cette Terre du bout du monde. 238 ans plus tard, c'est mon tour.
Nous passons une bonne partie de la journée sous la pluie mais le décor ne perd rien à son charme. Au contraire, il prend la teinte d'une vieille photo qui immortalise un événement et un paysage sortis d'un autre temps.
Faute de retrouver la bouteille qui marqua la prise de possession de Kerguelen, je découvre quand même au cours de nos pérégrinations quelque chose d'étrange. Éberlué, j'observe dans une petite marre des pierres qui flottent ! Je crois devenir fou...Peut-être un effet secondaire du MerCalm?...mais non je ne rêve pas ! Elles flottent pour de vrai ! Nous apprendrons plus tard qu'il s'agissait de pierres ponces, roche volcanique dont la densité est particulièrement faible. Me voilà rassuré ! Elles ne sont pas rares dans le coin et la coulée du Vulcain (coulée volcanique ancienne) en est recouverte.
Nous marchons jusqu'au Portillon puis devons nous résigner à faire demi tour. Nous laissons derrière nous cette gigantesque vallée des Sables et reprenons la route vers la plage.
Comme un au revoir, un splendide arc-en-ciel nous accompagne. Nous sommes plongés dans le monde fabuleux d'un conte relatant les aventures passés des grands explorateurs. Et avec du recul, c'est exactement le ressenti général de mes quelques jours passés sur la Péninsule Rallier du Baty. Une immersion dans l'Histoire de l'archipel Kerguelen.