Mais qu’est ce que je fais réveillé à cette heure un dimanche ?
Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas devenu insomniaque. C’est juste que l’hiver a fait son grand retour. Résultat des courses, avec la chute des températures, nos petites amies les Souris font leur grand retour dans les bâtiments.
Hier déjà, une d’entre elle a eu l’audace de farfouiller toute la journée dans ma poubelle et même de monter sur mon lit ! J’ai installé un piège et dans la soirée j’ai entendu le « clic » de la porte métallique qui se refermait. Et de une !
Et voilà que dans la nuit une seconde souris a fait irruption dans ma chambre. Elle a passé la nuit à se promener à droite à gauche. Vers 6h, tout chavire ! Je réalise que la gloutonne est dans ma cantine. Je l’imagine en train de se goinfrer de mes Crackers Manaco ! Il ne m’en faut pas plus pour passer à l’acte ! La pauvre est prise au piège…et je me transforme en bourreau à 6h15 du matin…une journée qui commence de façon bien étrange !
Demain, Lise et moi quittons à nouveau la base pour nous rendre 5 jours sur Guillou. Il est temps pour nous de reprendre notre boulot d’Ecobio et de nous recourber dans les plantes. Après l’OP, nous avions en effet décidé de nous accorder quelques jours de off afin de pouvoir accompagner Alexis et Pierrick (les deux VATs ornithos) pour une de leur manip à Sourcils Noirs. Au programme, baguage des jeunes d’Albatros fuligineux et d’Albatros sourcils noirs avant envol pour le suivi démographique des deux espèces. Il était également prévu de poser des petites balises Argos sur 5 jeunes Albatros fuligineux afin d’en savoir un peu plus sur leurs déplacements.
Jeudi 8 avril, le chaland nous dépose tout les 4 au Halage situé entre la presqu’île Ronarch et la péninsule Jeanne d’Arc. La météo n’est pas des plus engageantes mais la pluie ne nous fait plus peur. Et c’est parti pour 3h30 de marche pour arriver à la cabane de Sourcils Noirs. Pas le temps de se chauffer les cuisses qu’il faut déjà avaler 400m de dénivelé dès le départ. Le plafond nuageux est bas et nous sommes vite la tête dans le brouillard. Le vent se lève…pas de doute, nous avons atteint le plateau des Hauts du Hurle Vent. Avec un nom aussi évocateur, on peut s’estimer heureux d’avoir eu le vent de dos ! Une fois sur le plateau, le ciel finit par se dégager et nous apercevons déjà le canyon au fond duquel est installée la cabane. Au loin, sur notre droite, nous distinguons le haut des falaises abruptes de Baie de la Pic. Après 1h30 de marche sur le plateau nous nous engouffrons dans les gorges. Plus que 20 min de descente et nous voilà arrivés à la cabane.
Blotti au fond d’un canyon, à l’affluence de deux torrents, le chalet a fière allure.
Cabane de Sourcils Noirs
Dès le lendemain matin, nous débutons la manip ornitho. Les sites d’étude étant principalement sur la côte, il nous faut quotidiennement remonter sur le plateau situé au Sud du canyon puis redescendre la falaise pour accéder à la zone de nidification. Le spectacle est tout simplement hallucinant.
La colonie de Sourcils Noirs semble comme accrochée à la falaise. Les adultes ont quitté le nid mais certains d’entre eux survolent encore la zone, profitant des courants aériens, pour venir nourrir leur petit. Les jeunes, déjà aussi gros que les parents finissent de perdre leur duvet et exhibent leur beau plumage d’adolescents. Pour le moment, ils se contentent juste de battre des ailes pour se muscler. Mais bientôt il sera temps pour eux de prendre leur envol. Une envie de liberté flotte au dessus de la colonie.
Sourcil noir (juvénile)
Les Sourcils Noirs ne sont pas les seuls locataires de ces falaises. Les Gorfous macaroni ont eu aussi pris possession des lieux. Beaucoup plus bruyants que les Albatros, ils sont revenus en couple pour muer. Très territoriaux, ils n’hésitent pas à se prendre le bec (je comprend mieux l’expression maintenant) et à se boxer à coups d’ailerons. Ainsi, chaque couple est séparé de ses voisins d’une distance qui équivaut à la taille d’un aileron. Du coup, malgré le bazar auditif, la colonie de Macaronis est très bien structurée au niveau visuel.
Gorfous macaroni
Les Albatros fuligineux sont les plus discrets. Les nids sont situés à l’écart au pied de petites parois rocheuses humides. J’avais déjà eu l’occasion de croiser ces poussins masqués sur Ile Haute et à Cap Cotter. Le temps s’est écoulé et leur physionomie a bien changé. Le gros duvet gris a presque disparu et le masque blanc s’est estompé. Ca ne me rajeunit pas tout ça !
Pour les manips, nous décidons de nous séparer en deux équipes : 1 Ornitho + 1 Ecobio. Pour limiter l’effet manipeur dans les mesures, Pierrick et Alexis se chargent du baguage et des mesures biométriques (longueur du bec, de l’aile, poids, hauteur du crochet). Et l’Ecobio dans tout ça, il fait quoi ? J’ai envie de vous répondre : « il se fait vomir dessus ! ». Nous étions en charge de saisir le poussin par le bec et de le maintenir, ailes plaquées le log du corps, pour permettre aux ornithos de faire leur boulot.
Le fait de devoir les manipuler n’est pas sans désagréments pour les oiseaux. Ils sont plus ou moins stressés d’un individu à l’autre. Vomir constitue une réponse au stress ! Autant dire qu’à la fin de la manip, nous dégagions une « légère » odeur !
Lundi 12, Alexis et Pierrick finissent de poser les deux dernières balises Argos en fin de matinée. Nous avalons un casse croûte au soleil et profitons un dernier instant du spectacle de la colonie.
Le beau temps se maintient et nous décidons d’aller jusqu’à la baie de la Pic. Je découvre alors Kerguelen sous une facette qui m’était encore inconnue. La baie porte bien son nom. Nous marchons au sommet de falaises abruptes d’environ 400m de hauteur. La verticalité est telle qu’on a peine à se rendre compte de la distance qui nous sépare de la mer.
La côte est découpée et je comprends alors pourquoi les premiers navigateurs ont surnommé Kerguelen « Ile de la Désolation ». Depuis la mer, il est tout simplement impossible d’envisager de mettre le pied à terre. Kerguelen donne une image d’île vierge, sauvage, minérale et inaccessible. Les falaises s’érigent telles une barrière dans l’immensité de l’Océan Indien. L’Homme n’est que peu de chose.
Mercredi 14, nous quittons la cabane de Sourcils Noirs pour nous rendre à Phonolite, sur la presqu’île Ronarch.
Le plateau des Hauts du Hurle Vent est bien différent d’à l’aller. La neige a fait son apparition et lui donne une toute autre allure. Quel bonheur de marcher dans cette ambiance nordique, de voir les choux et l’acaena recouverts d’un manteau blanc immaculé.
Plateau des Hauts du Hurle Vent sous la neige
Acaena et Poa Cookii sous un manteau blanc
Vers 14h, nous arrivons enfin à la cabane de Phonolite. Située au pied de la Tête d’Homme, massif de Phonolite (roche volcanique verte), elle bénéficie d’une vue imprenable sur la vallée de Phonolite, sur le Mont Rouge et sur le Mont Wiville Thomson.
cabane de Phonolite
Jeudi 15, faute de temps pour pouvoir réaliser une excursion jusqu’à la rivière des Macaronis et la Muraille de Chine (à l’est de Ronarch), nous décidons de remonter la vallée de Phonolite jusqu’au Bastillon avant de remonter au col situé derrière le Mont Rouge. A 500m d’altitude, nous avons l’impression d’être en haute montagne. Le vent est froid mais le spectacle en vaut vraiment la peine.
Vendredi 16, c’est l’heure de rentrer sur base et de quitter ce havre de paix. Promis, je reviendrai pour tenter l’ascension du Mont Wiville (900m) et faire un saut à l’Est de Ronarch. Mais comme l’hiver fait royalement son entrée il faudra sans doute attendre le printemps !