Depuis mon arrivée, j’essaie d’arpenter au maximum ce bout de terre égaré. Et pourtant, Kerguelen ne cesse de me rappeler que l’étonnement et la découverte ne sont pas une question d’âge. L’œil est constamment sollicité. Petit à petit, l’île dévoile son intimité qui me semble désormais sans limites. Et c’est toujours avec ce sentiment d’être un privilégié que je continue et continuerai à saisir cette chance. La chance de pouvoir observer, écouter, sentir, s’émerveiller et évoluer dans cette Nature face à laquelle je ne peux être que le spectateur.
C’est en tout cas ce que m’ont encore montré ces 5 jours de randonnée sur Courbet Ouest. A moins de deux jours de marche de la base, le contraste avec tout ce qui nous raccorde à la société n’en est que plus flagrant.
Jeudi 3 juin 2010.
Il est 7h30, le jour se lève à peine. Nous sommes quatre à prendre la route : Pierrick et Alexis (les 2 ornithos), Matthieu (Gener = VAT chargé de la logistique IPEV) et moi.
Le ciel est dégagé. Le vent est faible. Autant dire des conditions climatiques hivernales presque inespérées pour ce premier jour de transit vers Studer.
Alors que mes 3 compagnons le découvrent pour la première fois, j’entame mon troisième pèlerinage vers ce site dont j’ai déjà fait l’éloge.
A moins de 4h de marche de la base, les visiteurs ne sont pourtant pas très nombreux. Ces derniers s’arrêtant en général à la cabane de Jacky (à mi chemin). L’entrée du Val n’est pourtant pas à plus de 10min de marche et offre une vue qui vaut largement ce petit effort supplémentaire.
En ce qui nous concerne, Jacky ne sera ni plus ni moins qu’un prétexte pour une pause café avant de nous engager pour 2h de marche dans le Val Studer.
Baigné dans une lumière rasante, les contrastes s’accentuent et les couleurs se font plus vives. Sur notre droite et notre gauche, s’érigent deux barrières rocheuses où s’écoulent nombre de cascades. Scintillantes sous l’effet du soleil, c’est la roche elle-même qui semble briller. Une nappe de nuage bas flotte au dessus du lac principal à côté duquel est installée la cabane. J’ai l’étrange sensation d’être dans un songe, d’évoluer dans un rêve. Le décor est pourtant tout ce qu’il y a de plus réel.
arrivée à Studer
Arrivés à la cabane, il nous reste 2 heures avant que la nuit tombe (vers 17h). Avec Alexis, nous décidons de nous rendre à la Grande Cascade qui se trouve à 15 min de notre refuge. Enclavée dans la roche, elle est presque invisible depuis le val. Il faut s’enfoncer dans une gorge étroite de près de 200m de haut pour l’apercevoir. Le bruit est fracassant. L’eau chute et s’évapore avant même de toucher de sol. Les embruns nous arrosent. J’ai l’impression d’être au bout du monde…mais est-ce seulement une impression ?
Vendredi 4 juin 2010.
Baie Charrier est à environ 7h de marche de Studer. Les journées étant de plus en plus courtes, il nous faut prendre la route le plus tôt possible pour être sûr de rallier notre destination avant la nuit.
Les prévisions météo de la veille s’annoncent moins engageantes : chutes de neige et un vent d’Ouest pouvant atteindre plus de 70 nœuds en fin de journée. Or de question de s’attarder pendant le transit.
Nous quittons donc la cabane de Studer et commençons à remonter la vallée de rivière du Sud. Fort heureusement, nous sommes abrités du vent par les reliefs alentours et la première heure de marche se fait même sous un ciel bien dégagé.
Mais tout d’un coup, l’atmosphère s’assombrit. Les massifs qui nous font face commencent à s’estomper puis à disparaître. Il est temps de fermer les vestes, d’enfiler les masques et de mettre les capuches. Car c’est un véritable rideau de neige qui commence à s’abattre sur nous. Ces averses sont de courte durée et nous finissons par atteindre le Lac Margot sous une belle éclaircie. Le Mont Moseley s’érige devant nous à près de 730m d’altitude. La vallée dans laquelle s’écoulé la rivière du Nord est recouverte d’une pellicule blanche qui contraste avec la couleur sombre de la roche volcanique et des nuages. C’est un paysage en Noir&Blanc que nous observons.
La traversée de la vallée pour rejoindre le col qui conduit à la Rivière des Chasseurs (et un peu plus loin à Baie Charrier) s’avère difficile. La neige est de nouveau parmi nous. Le vent s’engouffre dans le val et balaie tout. Par moment, il nous est impossible de voir à plus de 3m. Nous sommes dans le blizzard…
Les épisodes ne durent guère plus de 15min et les accalmies ensoleillées sont nombreuses. Nous franchissons le col. A l’horizon, l’Océan se profile. Nous approchons du but !
Afin de nous affranchir d’une marche dans les souilles de la rivière des Chasseurs, nous décidons de descendre jusqu’à Baie Charrier par le Plateau de Sauveterre. Encore deux ou trois épisode de blizzard et le ciel se dégage définitivement. Depuis les hauteurs du plateau, nous avons une vue grandiose sur la rivière des Chasseurs, son embouchure, la baie, le Mt Moseley et le Plateau Méjean.
Baie Charrier
Vers 15h, nous arrivons à la cabane de Baie Charrier. Très peu fréquentée, elle garde les séquelles du temps et des intempéries. Nous sommes bien loin du confort de la cabane de Studer. Pas de radian et trois matelas pour 4…mais une chaleur humaine réconfortante et la sensation si agréable de vivre des moments inoubliables.
Samedi 5 juin 2010.
Après une nuit passée entre les ornithos, nous quittons Baie Charrier sous un soleil radieux pour rejoindre la Baie des Cascades et la cabane de Rivière du Nord.
Baie Charrier depuis le plateau Méjean
La journée commence par une petite promenade matinale sur la plage où Papous et Eléphants de mer ont élu domicile. Un peu plus loin dans la vallée, nous apercevons deux Rennes. Mais une belle montée jusqu’au Plateau Méjean nous attend. Un dernier coup d’œil en contre plongée à ce coin de paradis qu’est Baie Charrier puis nous faisons cap vers la Table de Diomède. Et au passage d’une crête, une superbe surprise s’offre à nous. Devant nous, s’étale le nord de la Péninsule Courbet. Il m’est ainsi possible de retracer une partie de la marche que j’avais faite il y a déjà un peu plus de deux mois avec Maurice et Laurence. Cataractes, Cap Cotter, Mont Campbell, Colline de l’Azorelle, lac Marville…autant de lieux qui m’évoquent bien plus que de simples noms !
péninsule Courbet depuis le Plateau Méjean
Au fur et à mesure que nous avançons, la Baie des Cascades et le Cirque Moseley se dévoilent. A l’abri du vent, l’eau de la profonde baie est tel un miroir.
Cirque Moseley
Baie des Cascades
Nous sommes accueillis par les Eléphants de mer, les Papous et les Manchots royaux…comme si le paysage ne suffisait pas ?
Situés à l’embouchure de Rivière du Nord, la cabane est constituée de deux petits modules rouges bien plus récents qu’à Baie Charrier. Néanmoins, un des deux modules ayant perdu son plancher lors de la dépose en hélicoptère, un seul est « souris proof » et habitable ! Le second servant uniquement de lieu de stockage. Le temps d’une soirée et d’une nuit, nous cohabitons donc à 4 dans ce cube de 2m de côté. Pas besoin de radian dans ces conditions (de toute façon lui aussi a été perdu en même temps que le plancher…). Par ailleurs, notre ami Gener avait oublié de nous dire que la cabane n’avait pas de matelas. C’est donc à même le sol que nous avons passé la nuit ! Merci Géner….
embouchure de Rivière du Nord
Dimanche 6 juin 2010.
Finalement, la nuit n’aura pas été si mauvaise que ça ! Certes, ce n’est pas sans douleurs au dos que nous reprenons notre périple, mais la beauté de la vallée de Rivière du Nord et du Mt Moseley nous font rapidement oublier ces désagréments d’ordre physique.
Mont Moseley
Rivière du Nord
Alors que nous évoluons dans ce paysage vierge de toute présence humaine, la pluie, le brouillard et le vent viennent bientôt nous rappeler que nous sommes à Kerguelen et qu’il faut savoir composer avec la météo !
Il nous est difficile de voir ce qui nous entoure. Chacun se branche donc sur le mode « marche automatique ». Ainsi déconnectés de toute réalité, qu’elle soit physique, visuelle ou temporelle, nous marchons d’un bon pas pour rentrer sur Studer.
Au bout de 5h, nous retrouvons la cabane. Que dis-je ?…le palais de Studer : 3 radians, 6 couchages, une épicerie, des WC, une table et des chaises, une cuisine,…
Histoire de se faire pardonner de ne pas nous avoir prévenu de prendre des tapis de sol pour la veille, Matthieu décide de nous préparer des Calzone ! Et autant dire qu’après 4 jours de marche, ces dernières sont accueillies comme il se doit par nos estomacs ! En voilà un qui sait se faire pardonner !
Lundi 7 juin 2010.
Les meilleures choses ont une fin et il est déjà temps de rentrer sur base. Le transit n’étant pas bien long, nous profitons du confort des matelas de Studer pour faire une grasse matinée.
Il est presque 11h quand nous fermons les portes de la cabane.
Histoire de varier un peu, nous décidons de nous rendre à Jacky en passant par le Plateau du Tussok. Depuis la crête, il nous est possible d’avoir une vue panoramique sur le Val Studer, Rivière du Sud, Mt Crozier et Montagne Verte (deux sommets réalisables depuis Studer et que je ne manquerai pas de faire pendant l’été !). Et le ciel étant clair, il nous est possible d’apercevoir la base, Isthme Bas et une partie du Golf…encore et toujours des vues qui se passent de commentaires !
Val Studer depuis le Plateau du Tussok
Nous arrivons sur base vers 16h. Et comme d’habitude, malgré la déception de retrouver ce milieu anthropisé, le plaisir de lire les mails, de prendre une douche et d’enfiler des vêtements propres…
Sur base, l’ambiance est aux préparatifs ! Car la Mid Winter (coutume de toutes les bases polaires et subpolaires mondiales) approche à grands pas (du 21 au 25 juin)…mais ça, ça sera l’objet d’un futur post…