10 août 2010

PJDA...voyage dans le passé de Kerguelen

Depuis la découverte de Kerguelen en 1772, la France cherche à tirer profit de ce territoire austral, connu comme étant l’île la plus isolée du globe. Les ressources minières n’y sont d’aucun intérêt, pas plus que le potentiel agricole.

C’est au début du XXe siècle que la France cède aux frères Bossière une autorisation d’exploitation de l’archipel. Ces deux français ne sont pas sans savoir que les eaux de Kerguelen regorgent de baleines. Et ils ne sont pas sans savoir non plus que l’huile qui en est extraite est très prisée pour l’éclairage urbain, notamment dans les grandes villes américaines. Il ne leur en faut pas plus pour tenter l’expérience.

1908. Le bateau à vapeur Jeanne d’Arc pénètre dans le Golf du Morbihan. A son bord, une centaine de norvégiens. Forts de l’expérience de la chasse à la baleine et de l’extraction de son huile, c’était tout naturellement que les frères Bossière s’étaient tournés eux.

Très rapidement, c’est un véritable village scandinave qui sort de terre. Les baraquements, la porcherie, la forge, les fourneaux et cuves diverses sont installés. L’exploitation de la baleine à Kerguelen peut commencer. Port Jeanne d’Arc est né.


la forge

Pendant une vingtaine d'années, l’usine va tourner à plein régime. Mais Kerguelen est loin, trop loin. Et l’absence de charbon, nécessaire pour le fonctionnement des fourneaux, impose de réguliers approvisionnements qui vont vite s’avérer trop coûteux pour la pérennité de l’exploitation. Ceci combiné à l'arrivée de l'électricité dans les grandes villes vont finir par avoir raison de Port Jeanne d'Arc. l'activité cesse en 1926.

Un nouveau chapitre commence alors. La Nature reprend ses droits et le vent se charge du démantèlement du site. Rapidement, les bardages s’envolent, les toitures s’arrachent et les murs s’effondrent. Les pontons et plans inclinés se dispersent en autant de morceaux de bois flotté dans l’ensemble du Golf. Le métal est rongé par le sel. Les cuves se renversent pour ne former plus qu’un amoncellement de ferraille. Petit à petit, Port Jeanne d’Arc disparaît.

Mais l’ancienne usine baleinière ne tombe pas dans l’oubli pour autant. Et ce n’est que récemment que les TAAFs ont décidé de classer le site « Patrimoine ». Port Jeanne d’Arc a ainsi pu bénéficier d’une cure de jeunesse pour trois de ses bâtiments et d’un pseudo nettoyage du périmètre.

Si le site reçoit la visite d’une petite poignée de touristes plusieurs fois par an, c’est aussi un site d’étude pour le Popchat. Et c’est dans ces circonstances que le L5 a déménagé à PJDA. En effet, il n’est plus question de cabane. Ici, la cuisine, le dortoir, la salle à manger et la salle de bain sont autant de pièces séparées. Pour tout dire, c’est un des anciens baraquements, aujourd’hui restauré, qui sert de logement. Ce n’est donc pas la place qui manque. Raison pour laquelle nous avons choisi PJDA pour passer du temps entre VATs loin de la base. Un peu comme des vacances studieuses entre amis...

de gauche à droite: Alexis, Clément, Lise, François, Léo, Pierrick et Matthieu

Dans l’ensemble, la météo n’aura pas été des plus clémentes…c’est encore l’hiver austral ! Nous avons quand même bénéficié d’une fenêtre pour partir randonner. Direction le Mont des Lichens depuis lequel s’ouvrait une vue superbe sur le massif Gallieni et les îles Gaby et Altazin.

I.Gaby et I.Altazin

Mont des Lichens

vue sur la Grande Terre depuis le Plateau du Vent

PJDA aura aussi été l’occasion de s’adonner aux sports d’hivers et à la luge !

Mais PJDA s’est avant tout un voyage dans le passé. Sensation inédite pour moi depuis mon arrivée à Kerguelen.

En effet, hormis la base de Port aux Français et les quelques cabanes, il n’y a que très peu de traces d’une présence humaine « directe » sur le territoire. Pas de routes et de poteaux électriques ; pas d’avions ou de panaches de fumée issus de nos usines ; des rivières primaires qui s’écoulent librement ;… Dans l’absolu, les paysages de Kerguelen se présentent à nous tels qu’ils se sont toujours présentés aux yeux d’un être humain, que l’on soit en 1772 ou en 2010. Et aussi étrange que cela puisse paraître, c’est dans un esprit de pionnier que l’on évolue à Kerguelen, sans ressentir le besoin de se rattacher à une époque précise.

Comme s’il ne suffisait pas d’être éloigné géographiquement, il faut en plus que je vous annonce qu’ici on est éloigné temporellement ! Et bien oui, tout compte fait, Kerguelen s’est un peu un voyage spatio-temporel !

Mais voilà qu’à Port Jeanne d’Arc, je me suis soudain senti rattrapé par le passé de l’archipel. J’ai été comme frappé par l’histoire qui émane du site. C’est comme si PJDA était encore habité. Au milieu de ces ruines, on ressent presque l’effervescence passée qu’il devait y avoir lorsque les bateaux revenaient avec leur funeste butin. Et je ne vous parle pas des soirs de vents ! La vue faisant défaut, l’imagination parle et se laisse guider par les bruits inquiétants venant de dehors ! PJDA, village fantôme.

ancienne chaloupe

Dans de telles circonstances, il est impossible de ne pas penser à ces hommes qui, parfois au prix de leur vie, ont fait l’histoire de Kerguelen. Bien entendu, je ne cautionne pas le massacre qui a eu lieu à PJDA. Mais dans le fond, qui suis-je pour juger ? Nous étions alors en 1908 et les ambitions de ces hommes étaient bien différentes de celles qui nous motivent aujourd’hui. Il en est de même pour leurs conditions de vie et je leur suis admiratif à bien des égards.

Et dire que je vous écris tout ça, le PC portable sur les genoux, confortablement installé sur mon lit de la cabane d’Australia. Le groupe électrogène tourne, la lumière est allumée, le radian chauffe à fond les ballons, le pain gonfle tranquillement,…et tout ça avec une bière à la main! Pas de doutes, les choses ont bien changé !

Mais finalement, qu’importe le support matériel dont on dispose. Ce qui compte c’est l’importance qu’on accorde aux choses qui nous entourent. De les vivre avec intensité.