11 nov. 2010

Armor

Mardi 9 novembre, il est précisément 15h35 et je commence à rédiger mon mail « retour de manip » en plein milieu du Golfe du Morbihan. Comment est-ce possible ? Je suis à bord du chaland !

Nous avons été récupéré à Armor vers 14h. Alexis et Pierrick (les ornithos), Léo (le Popchat) et Lise viennent d'être déposés à Mayès où ils vont bosser jusque samedi. Désormais, nous faisons cap sur la base. Arrivée prévue dans une petite heure. Ça me laisse le temps de flâner et de vous parler un peu du chaland.


Il faut savoir que les trajets en chaland sont des moments importants pré et post manips. Dans le premier cas, il permet de s'immerger dans la manip qui nous attend. Lors du retour, c'est surtout l'occasion de se reconnecter en douceur à la vie sur base, de se remettre d'actualité avec ce qui a pu se passer dans la capitale (...heureusement pour nous, en général pas grand chose!). C'est aussi un lieu convivial où l'on retrouve les autres équipes parties en manip et que l'on ne fait bien souvent que croiser. La preuve aujourd'hui avec les ornithos que je n'avais pas vu depuis deux semaines et que j'ai pu retrouver le temps de rallier Armor et Mayès.

Aussi exigu soit l'espace à bord, chacun fait ce qui lui chante. Certains font la sieste, d'autres discutent ou encore observent les oiseaux depuis le pont. En ce qui me concerne, j'élis souvent domicile dans un petit coin de la passerelle avec un bouquin. Il me suffit alors de lever les yeux pour pouvoir observer le paysage insulaire et chaotique qui règne dans le Golfe.

Aujourd'hui fait exception! Primo, « ma » place habituelle est déjà occupée...rrrr. Secundo, j'ai fini le livre que j'avais pris en manip (Les Cercles de l'Enfer de Maud Tabachnick...merci encore Maritch pour tous ces supers livres que tu m'as filé avant mon départ...je les dévore). Tout ça pour dire que je suis installé en cabine, le PC sur les genoux. Contrairement à la passerelle, l'endroit est sombre, froid et sans vue. Et qui plus est, pour peu que la mer soit agitée, il est propice au mal de mer. Ce qui, je vous rassure, n'est pas le cas aujourd'hui ! Seul point positif, c'est en cabine que se trouve le casse-croûte...


...ah, il semblerait que le chaland ait pris un peu d'avance. Arrivée imminente. Il faut que je vous laisse car il faut transférer tout le matériel, les touques et les sacs à l'avant du chaland pour gagner du temps lors du débarquement.



Mercredi 10 novembre, 9h.

Ce matin, réveil à l'aube (5h30). Et pour cause, le vent s'est brutalement levé en début de matinée. Le bruit des rafales m'empêche de dormir.

...le bruit du vent...un point que je n'ai pas encore évoqué.

Que peut-il bien avoir d'exceptionnel le vent à Kerguelen ? Tout d'abord, il souffle quotidiennement, mais ça ce n'est plus une surprise. Non, en fait ce qui surprend c'est que le vent est silencieux. En effet, le souffle de la tempête est constant et régulier. Et les obstacles sont rares (sauf sur base bien sûr). Finalement, seules les saccades des rafales sont réellement audibles. Combiné au fait qu'il n'y ait aucun repère visuel (arbres, tuiles, papiers,...) pour marquer le déchainement des masses d'air, il est parfois très difficile d'estimer la force du vent. Le seul moyen s'est de l'affronter.

Dans cette optique, je prend la direction du réfectoire à 8h pour aller déjeuner. Et sur le chemin, je me fais surprendre par une bourrasque qui manque de me faire tomber. L'espace d'un instant je sens que je ne suis plus maître de mon déplacement et je m'imagine déjà emporté par le vent tel un vulgaire mouchoir (c'est fou comme l'esprit peut être fertile parfois). Tant bien que mal je parviens sain et sauf à Totoche. André, nouveau chef météo, est là...super j'aurai pas besoin d'appeler les services Météo France ! Il m'annonce un vent moyen de 55 Nœuds (soit environ 110km/h) et des rafales enregistrées à 75 Nœuds (un peu moins de 150km/h)...je comprend mieux ma mésaventure matinale ! Qui plus est, il semblerait qu'on soit passer dans un flux de Nord, Nord-Ouest (si il le dit) et que ça va pas se calmer avant le week end. La journée de samedi s'annoncerait même pire encore ! Bilan de la discussion : je troque les tongs pour des chaussures plus stables, et j'abandonne le sarouel « parachute » !


En parlant « météo », on a indéniablement basculé vers l'été austral. Les températures ne descendent plus en dessous de 2°C et on réussit même à atteindre les 7/8 °C, c'est dire ! Si les masses d'air sont encore fraîches, ce n'est pas le cas du soleil qui commence à cogner sévère. La latitude de Kerguelen est comparable à celle de Paris dans l'hémisphère Nord. Et le mois de novembre ici correspond au mois de mai en métropole. La crème solaire et la Biafine ont donc fait leur retour dans notre fond de sac !


Un redoux qui, en tout cas, se prête parfaitement aux manips comme celle que je viens de faire à Armor accompagné de Fabrice (technicien de la Réserve Naturelle) et Lise.


Après PAF (Port aux Français), PJDA (Port Jeanne d'Arc) et POC (Port Couvreux)...(et oui on a une légère tendance à l'usage de diminutifs sur Kerguelen ; sans doute un moyen verbal et inconscient de marquer la différence entre les hivernants et les « nouveaux » qui se voient obligés de demander « C'est quoi PJDA? »)...Armor constitue le 4e site marqué par la présence humaine sur l'archipel. La similitude s'arrête là.

Tout d'abord, seule la base de Port aux Français présente une activité permanente. Armor, PJDA et POC ont été désertées. Chacun de ces sites témoigne à sa manière de cette chimère qui a motivé l'administration française le siècle dernier. A savoir, tirer profit de l'exploitation des ressources de l'archipel. Compte tenu de leur état d'abandon, il est clair que Kerguelen n'a rien de plus à offrir à l'Homme que ses somptueux paysages.

Ensuite, si PJDA et POC font désormais partis du patrimoine historique français, ce n'est pas le cas de Armor dont la création est bien plus récente. En effet, au début des année 80, les TAAFs décident de développer un projet d'aquaculture sur le territoire. En 1983, la ferme d'élevage d'Armor est construite. Des alevins de truite et de saumon y sont introduits et étudiés. Sur le site, vivent de façon permanente pendant une année quelques hivernants. La base est autonome et seuls les vivres sont amenés par chaland depuis Port-aux-Français. A ce titre, les habitants d'Armor sont appelés les Armoriens et constituent un petit groupe de « provinciaux » comparé aux « citadins » de la capitale. Mais comme en métropole, la province a de nombreux atouts : la quiétude, le charme, le cadre,...Et Armor n'y échappe pas. On s'y plaît à tel point qu'on a envie d'y élire domicile.

De manière générale, les premiers résultats de l'élevage ne sont pas mauvais mais le nombre de retour dans le lac d'Armor diminue d'année en année. En 1992, l'idée d'établir à Armor un élevage productif et rentable est abandonnée.

Voilà donc une vingtaine d'année que la base annexe est délaissée, fréquentée occasionnellement par des manipeurs qui l'utilisent pour le boulot ou comme base de départ de randonnées. En ce qui nous concerne, ça sera les deux.


Bien entendu, hors de question de venir à Armor sans cane à pêche. La probabilité d'y pêcher de la truite voir du saumon y étant normalement plus élevée que dans le reste de l'archipel. Mais après une semaine d'essai, nous en sommes venu à la conclusion qu'Armor était une légende (et d'après les récits dans le cahier de cabane, nous ne sommes pas les seuls de cet avis). Après de nombreuses tentatives, Fabrice aura quand même réussi à extraire deux truites de leurs trous. Lise et moi, définitivement très mauvais pour la pêche, avons rapidement abandonné nos espoirs de filets de truite fumés ! Peu importe, Armor regorge de moules (beaucoup plus faciles à attraper) et de bien d'autres trésors biologiques...autochtones ceux-là !


En effet, il nous a été confié par le Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, de réaliser un herbier des fougères présentes à Kerguelen. Parmi les 8 observées sur le territoire, deux espèces restaient introuvables : Elaphoglossum randii et Hymenophyllum peltatum. Seul un point GPS existant localisait Elaphoglossum randii à Armor. Il ne nous en a pas fallu plus pour monter un manip sur le site que nous ne connaissions pas encore et qu'il nous tardait de découvrir.

A peine arrivés, et impatients de voir la-dite fougère, nous avons suivi les indications du GPS. Il ne nous faudra pas plus de 15min pour trouver la station concernée. Blottie dans une faille, notre chère inconnue n'est pas seule...elle est accompagnée de la deuxième espèce jusqu'à présent introuvable et de 3 autres des espèces enregistrées à Kerguelen. Nos prospections durant le reste du séjour auront été infructueuses. Il semblerait bien que ces deux espèces ne soient pour le moment observées que dans cette petite faille ! Autant dire un petit trésor qui soulève bien des questions !


Je vous le disais, Armor est aussi un très bon point de départ pour nombre de randonnées dans un secteur peu visité depuis l'abandon de la ferme d'élevage. Profitant d'un fenêtre météo favorable, nous avons pu quitter la base pour nous rendre à Puy St Théodule et passer la nuit dans sa grotte qui fait office de cabane. Rallier Armor et Puy St Théodule ne présente guère de difficultés et il nous aura fallu 4h de marche pour arriver à destination.

Nous découvrons alors notre logement pour la nuit à venir. Un mur de pierre a été dressé à l'entrée de la caverne pour l'isoler du vent. Constituée de trois cavités, la grotte dispose ainsi d'un espace cuisine (dans l'entrée), d'une chambre et d'un séjour. Il n'est possible de se tenir debout que dans cette dernière pièce à laquelle on accède en rampant par la chambre. Difficile dans ces circonstances de ne pas se gogner! Heureusement pour nous, le vent est presque nul, les températures sont acceptables et il n'a pas plu ces derniers jours...des conditions de rêves pour une nuit en grotte !

Depuis l'entrée, nous avons une vue, qui pour ne pas changer, fait rêver. Devant nous se dresse les imposants remparts du massif Gallieni qui compte les plus hauts sommets de l'archipel. La Pyramide Branca et le Grandidier semblent sortir de terre. L'impression est encore plus frappante que nous en sommes séparés par une grande plaine alluviale où s'écoule La Clarée. Le panorama est saisissant.

Comme il est encore tôt quand nous arrivons et que nous sommes encore en forme, Fabrice et moi décidons de faire l'ascension de Puy St Théodule...366m. Je vous l'accorde, ce n'est pas bien haut, mais c'est suffisant pour culminer les reliefs alentours (mise à part ceux du massif Gallieni) et pour bénéficier d'un magnifique 360°. Le Mont Ross nous laisse même apercevoir son sommet (1850m) par une petite trouée dans les nuages qui l'engloutissent une majeure partie du temps.


Nous profitons qu'il fasse encore jour pour installer nos couchages. Les places sont déterminés en fonctions des besoins urinaires de chacun afin de ne pas déranger les dormeurs pendant la nuit. Je me retrouve donc blotti dans le coin, certes le moins accessible mais aussi le plus attrayant.

L'étape du coucher est une épreuve en soi qui nécessite toute une organisation. Chacun notre tour nous accédons à notre place. Ne reste plus qu'à se glisser dans le sac à viande, puis dans le sac de couchage et enfin dans le sur-sac étanche. Je mesure alors la chance de ne jamais avoir à me lever dans la nuit !


La nuit aura était bonne et c'est en forme que nous reprenons la route vers Armor sous un soleil radieux. En chemin, nous décidons de faire un petit crochet par le Volcan du Diable (315m) qui est en quelque sorte le petit frère de Puy St Théodule. L'ancien volcan porte bien son nom tant ses reliefs sont acérés et sombres. Néanmoins, si il inspire la crainte d'un point de vue visuel, son ascension par la crête se fait tranquillement. Depuis le sommet, nous pouvons apercevoir le lac d'Armor et la base qui porte son nom ainsi que les îles du Golfe du Morbihan. J'ai l'impression de me répéter mais le panorama est encore une fois superbe.


De retour sur la base, nous reprenons vite nos petites habitudes de cabane. Nous avons fini notre travail et comme la météo se dégrade les jours suivants, nous nous laissons porter par la quiétude et la tranquillité des lieux.

Mais il est déjà temps de quitter Armor et de regagner la base de Port-aux-Français. Le chaland, tel les transports en commun se charge du transfert. Et voilà comment j'en reviens au tout début de mon mail, commencé à bord du chaland.


Le retour sur base annonce l'approche d'une nouvelle page de notre hivernage. En effet, dans une semaine le Marion Dufresne sera de retour à Kerguelen. Espérons que la météo s'améliore pour faciliter l'OP.

Cette fois-ci ce ne sont pas des militaires qui seront débarqués. Ce sont nos remplaçants ! Lise et moi bénéficions d'un petit sursis d'un mois, nos remplaçantes n'arrivant qu'en décembre. Quoiqu'ils en soit, la perspective de voir notre relève arriver nous précipite sans qu'on s'en soit rendu compte vers la fin de notre séjour ici. Et même si je suis de plus en plus impatient de rentrer, je ressens aussi la peur de quitter ce lieu. Je suis ému à l'idée de ne peut être plus jamais fouler cette terre du bout du monde, de lui dire adieu.