25 déc. 2009

Traversée avec La Curieuse

Premier message écrit depuis La Curieuse. Il est 11h (7h pour vous) et nous sommes le 24 décembre.

L’arrivée à Kerguelen est prévue pour demain matin. La côte ne sera malheureusement pas visible avant la nuit si ce n’est au radar. Nous découvrirons donc Kerguelen demain matin au réveil. Kerguelen tel un cadeau de Noël sous le sapin ! Je pense que c’est vraiment le plus beau cadeau qu’on puisse nous faire ! Nous avons tous vraiment hâte de quitter le bateau et son bruit de moteur incessant et assourdissant, de pouvoir de nouveau poser les pieds sur le plancher des vaches.

Comment vous décrire la traversée ?

Je vais essayer de faire le plus court possible et de me concentrer sur les points qui vous intéressent.

Tout a commencé il y a maintenant un peu plus d’une semaine. Nous sommes arrivés à La Réunion mercredi 16 décembre vers 9h30. Un taxi est venu nous prendre pour nous conduire directement au Port où La Curieuse nous attendait. Cette dernière était à quai juste derrière le Marion Dufresne. C’est sûr que vue sous cet angle, La Curieuse prend des allures de Twingo de l’océan (pour paraphraser Nico!). Mais en aucun cas elle ne semble ridicule. La Curieuse est un bateau robuste, construit pour résister.

Vers 16h nous quittons le port…c’est parti pour 9-10 jours de traversée. Très rapidement, la houle se fait ressentir et le bateau se met à tanguer. C’est bien là le problème de La Curieuse : c’est un bateau robuste mais qui prend très (trop) facilement la houle…Au bout d’une bonne heure je ressens un certain mal être. Je sors donc ma première arme anti mal de mer : les bracelets Sea Band! Foutaise ces trucs là ! 30 minutes plus tard je rends par-dessus bord! J’essaie bien ensuite de prendre des cachets mais chacun d’entre eux finit inexorablement dans l’eau! Petit à petit l’état de chacun se dégrade. Le ventre barbouillé, incapables de manger ou boire quoique ce soit (pas même un grain de riz ou de l’eau), nous nous réunissons sur le pont pour vomir en collectivité! Nous finissons donc par adopter le patch et par regagner nos couchettes en espérant trouver le sommeil.

Heureusement pour nous, le patch est vraiment très efficace et les effets secondaires se limitent à une bouche pâteuse et une très légère tendance à la somnolence. Dès le deuxième jour, nous retrouvons petit à petit l’appétit.

Je vous assure une chose : quand on est dans un état pareil on se dit que c’est pas possible de tenir de coup pendant 10 jours!

Les activités à bord sont très limitées. Il faut s’imaginer une vie de chat! Je ne plaisante pas. En gros notre activité se limite à dormir, se lever pour aller manger (nourriture très bonne soit dit en passant), retourner se coucher pour digérer, faire sa toilette. Aller prendre l’air de temps en temps, regarder un film, lire, faire du crochet. Je pense avoir fait le tour. Et bien je ne souhaite ça à personne. C’est vrai que c’est bien agréable le temps d’un week end au coin du feu (je t’y prend frangine! lol). Mais ça s’avère très pesant au bout de quelques jours. Du coup, on perd très vite toute notion du temps. 8 jours que nous sommes en mer et pourtant j’ai l’impression que ça fait une éternité. Je n’envierai plus jamais un chat qui se prélasse au soleil quand toi tu pars bosser!

Et la météo ça donnait quoi?

Bah dans l’ensemble on n’a pas trop à se plaindre. Les deux premiers jours, nous avons eu une houle assez forte pour nous rendre malade. A bien y penser je ne pense pas qu’il nous fallait grand-chose!

Ensuite nous avons eu 2-3 jours avec une mer calme. Quel soulagement de pouvoir enfin manger sans se soucier de son verre d’eau et de ne pas avoir à jouer les équilibristes au moindre déplacement.

Mais doucement et sûrement, nous nous approchons des 40e rugissants. Le Capitaine nous demande de ranger nos affaires car ça risque de secouer dans la nuit ! Et on nous interdit de sortir sur le pont supérieur ! On se prépare donc tous psychologiquement à vivre une tempête dans la nuit. Seul hic : nos patchs du départ ne sont plus efficaces. La grande question est alors de savoir si on en remet un ou pas! Pour le moment nous décidons d’attendre : d’après Pierrick, « se patcher, c’est tricher! » Finalement, la nuit ne s’avère pas aussi mouvementée que prévue. Il y a bien des creux de 3-4m mais la période des vagues est grande donc on est remué en douceur (tout est relatif !). Il n’empêche que le lendemain, les patchs sont de retour à l’oreille…on se sent un peu ballonnés et mieux vaut éviter de revivre l’épisode du premier jour.

Ca va maintenant faire 2-3 jours que la mer est dans le même état. Juste pour vous donner une idée, il arrive au bateau gîte sur 30° (quelque fois plus). En tenant compte du retour ça nous fait une amplitude de 60-70 degrés…autant dire que oui ça bouge dans La Curieuse…pas pour rien qu’elle est surnommée La Machine à Laver Pas toujours évident de trouver le sommeil dans de telles conditions! En effet, les positions qui t’évitent de rouler dans ta couchette sont malheureusement les plus inconfortables!

Pour ce qui est des températures, on est parti de La Réunion avec un peu plus de 27 degrés. Aujourd’hui il fait 6 degrés dehors. C’est amusant car la chute des températures ne se fait pas de façon continu et régulière. En effet, au bout de 4-5 jours, on sent la température de l’air diminuer assez rapidement. Au matin tu es en short et débardeur dehors. Le soir tu enfiles une petite polaire! Mais le plus marquant c’est le moment où on passe le front de convergence polaire. Cette fois-ci c’est la température de l’eau qui chute. Tout devient radicalement différent quand on passe ce front. En effet, c’est seulement à partir de ce moment qu’on peut observer quantité d’oiseaux marins. Ils sont désormais une bonne dizaine à suivre le bateau : Pétrel soyeux, Pétrel noir, Grand Albatros (vraiment énorme avec un peu plus de 3 mètres d’envergure), Albatros à Bec Jaune,…

Vendredi 25 décembre.

Ca y est nous sommes bien arrivés!

Quel magnifique cadeau de Noël de pouvoir apercevoir les côtes de Kerguelen au petit matin. Nous sommes arrivés sur PAF en fin de matinée escortés par des dauphins de Commerson.

Je retrouve enfin Lise (ma binôme Ecobio), Alexia et Marine (les 2 Ecobiotes de la 59e) qui se chargent de me faire découvrir la base. Pas facile de s’y retrouver avec toutes ces nouvelles têtes. Et le mal de Terre n’aide pas non plus.

A peine quelques heures que je suis ici et je sais déjà que je vais passer une année inoubliable. On se croirait dans un documentaire animalier. Tu marches au milieu des jeunes éléphants de mer et les goélands présents sur base semblent avoir oublier qu’ils savent voler (ils ne s’inquiètent de toi que quand tu es à 50cm d’eux). Je vous assure c’est un truc de folie…et ce n’est que le début!

15 déc. 2009

Jour J

Ce message est sans aucun doute le dernier écrit depuis la métropole.
Et pour cause, aujourd'hui, mardi 15 décembre 2009, c'est le jour du grand départ. Encore 3h devant moi avant de prendre le TGV en gare de Lille Europe...direction Roissy Charles de Gaulle.

Au réveil, je pousse la tête dehors. Surprise, les voitures sont blanches, les cheminées fument,...pour une fois la météo disait vrai: -5°C à Lille. Un ciel bleu azur, un air sec et froid...c'est l'hivers. J'aime ce temps, cette ambiance feutrée (c'est facile à dire quand on est botti dans la couette), cette sensation de solitude.
A bien y penser, j'aurais peut être plus chaud à Kerguelen!

Hors de question de partir comme un voleur dans les îles. C'est pourquoi je pourrais renommer ma dernière semaine, la semaine Au Revoir. Pas toujours très facile de se séparer des personnes qu'on aime. On essaie de profiter au maximum de chacun, en évitant de penser au départ qui approche.
Un tour de grande roue, une soirée crèpe, un Noël avant l'heure en famille, un resto entre amis, aller à la pâtinoire, regarder un film et s'endormir... Des regards, des paroles, des rires, des souvenirs, des gestes tendres, des pleurs... merci à tous de me faire vibrer, de m'influencer, de me faire me sentir vivant.
Nous sommes le mardi 15 decembre 2009, il est 9h43, et il est temps pour moi de vous souhaiter bon vent et bonne continuation.
On se retrouve dès que je peux à Kerguelen.

26 nov. 2009

Comment entrer en contact avec moi...

C'est pas parce qu'on est à l'autre bout du monde qu'on est totalement isolé. J'ai d'ailleurs pu remarquer pendant un précédent voyage de 5 mois que c'est quand on est le plus isolé qu'on communique le plus. En tout les cas ma fréquence de mail n'avait jamais été aussi élevée...sans doute une volonté de montrer qu'on est toujours vivant!

Quoiqu'il en soit, il est possible de m'envoyer du courrier sur base. Ce dernier est mis en instance à la Poste de St Denis de La Réunion puis est embarqué sur le premier navire devant se rendre dans les Terres Australes! Tout ça pour dire qu'il faut être patient et que je vous pardonne d'avance si je ne reçois pas une lettre pour mon anni le jour même! J'attend autant d'indulgence de votre part! lol.
Après un tel périple vous vous doutez bien que les timbres en provenance des Terres Australes sont très recherchés par les collectionneurs. Donc ne jetez en aucun cas vos timbres...ils feront forcément plaisir à quelqu'un.
En tout cas pour m'écrire c'est simple:

Mr Quétel Clément
Base de Port aux Français
District de KERGUELEN
TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANCAISES
VIA LA REUNION

Un courrier ça fait tellement plus plaisir qu'un mail! A bon entendeur...lol
Mais il est vrai que internet offre une option beaucoup plus rapide. Voici l'adresse mail pour m'écrire sur place (normalement):

cquetel@kerguelen.ipev.fr

A bientôt

23 nov. 2009

Comment j'en suis arrivé à partir à Kerguelen...

Un voyage comme celui-ci ne se prépare pas à la dernière minute. Pour ma part, j’ai postulé au Volontariat Civil à l’Aide Technique (VCAT) avec l'IPEV (Institut Polaire Paul Emile Victor) courant décembre 2008. Autant dire que l’aventure a déjà commencé depuis quelques mois !

Qu’est ce qu’un VCAT ? Pour résumer, c’est l’opportunité pour des jeunes de 18-29 ans de participer à des programmes scientifiques dans les Territoires d’Outre Mer. Entre autre, l'IPEV propose chaque année plusieurs postes de VCAT pour réaliser un volontariat dans les TAAFs (www.vcat-ipev.fr). En ce qui me concerne, j’ai choisi de postuler pour un programme scientifique en charge de l’étude de l’impact de l’Homme et des changements climatiques sur les écosystèmes subantarctiques. Ce programme, appelé Programme Ecobio, est coordonné par l’UMR écobio de l’université de Rennes. Ainsi, alors même qu’aujourd’hui l’écologie prend une place de plus en plus importante dans notre quotidien, il m’a semblé important de participer à un tel programme. Un programme au cœur d’un sujet d’actualité sociale et scientifique. Et ce n’est pas tous les jours qu’on a l’opportunité de réaliser un hivernage dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). Je ne peux donc pas cacher que c’est aussi l’envie de vivre une expérience de vie extrême et hors du commun qui m’a poussé à postuler à ce VCAT.

Début avril - J’ai reçu une réponse positive de la part du conseil scientifique du programme Ecobio ! C’est alors que les choses s’accélèrent. S’en suit une série de tests médicaux et psychologiques dont le but est de s’assurer que je suis en bonne santé. C'est l'ultime étape pour être recruté par l'IPEV!Il faut savoir que l’isolement sur les îles Kerguelen est particulièrement poussé. Le seul moyen de transport pour y accéder est le bateau…et environ 7 jours de mer ! Donc pas le droit à l’erreur médicale avant le départ. Car là-bas, même une pathologie qui serait bénigne en métropole peut vite prendre une tournure plus grave. Heureusement, le district de Kerguelen dispose d’un médecin et d’une infirmière qui peuvent assurer les premiers soins…ouf!

Quoiqu’il en soit, c’est sans contre indication médicale que j’ai passé ces tests. Maintenant c’est sûr, je pars à Kerguelen !

Fin Août - Il est désormais temps de se préparer sérieusement à ce départ.

Première étape, s’équiper pour affronter sereinement le vent et le froid de Kerguelen. En gros il faut s’imaginer un hiver comme on le vit en métropole…mais un hiver qui dure toute l’année ! Et comme le programme Ecobio nous amène à passer beaucoup de temps dehors pour étudier la végétation, les insectes,…mieux vaut être bien équipé !

Les cantines (sorte de grosses malles en fer) doivent être expédiées pour le 14 septembre. Me voilà donc à arpenter les rayons Montagne des magasins de sport pour trouver des vêtements chauds…pas évident de trouver des gants et des polaires en plein mois d’août !

La préparation des cantines est un moment assez stressant ! Il faut se projeter sur place, imaginer tout ce dont je pourrais avoir besoin pendant un an (vêtements, shampoing, dentifrice, médicaments, thé, biscuits…), penser à toutes les petites choses qui deviennent essentielle à son bien être quand on est loin de chez soi (photos des proches, décoration pour la chambre, livres, films, le Mug fétiche pour boire son thé…). C’est un départ avant l’heure !

Du coup l’euphorie du départ s’estompe un peu pour laisser place à la peur. La peur de l’inconnu, la peur de se séparer de ceux qu’on aime, la peur de ne pas réussir à profiter pleinement du temps qu’il reste. C’est réellement à ce moment là que j’ai commencé à mesurer l’importance de mon choix de partir dans les îles Kerguelen pour 14 mois. Un choix dans lequel se mêlent une envie profonde de vivre un truc nouveau et hors du commun et la peur de tout simplement dire au revoir. Un choix qui n’engage d’ailleurs pas que moi. Il engage aussi ma famille et mes amis, tiraillés par l’envie de me garder auprès d’eux et pourtant si heureux de me voir partir pour une si belle aventure.

Juste pour info, à l’heure où j’écris, mes cantines sont sur le Marion Dufresne qui navigue tranquillement (enfin je l’espère !) vers Kerguelen. J’espère n’avoir rien oublié !

Septembre - Pour bien préparer le départ dans les TAAF, les hivernants reçoivent une formation de 8 semaines. Tout commence par une semaine de séminaire à Plouzané, au centre de l’IPEV. C’est l’occasion de rencontrer une bonne partie des personnes que l’on va côtoyer pendant plus d’un an, de mettre des visages sur des noms. Mais ce séminaire permet aussi de recevoir un tas d’informations sur les TAAFs et sur les différents programmes de recherche scientifique qui y ont lieu. Chacun prend ensuite la direction de son laboratoire afin de recevoir une formation plus poussée et plus spécialisée.

C’est ainsi que notre petite équipe Ecobio (Louise, Lise et moi) prenons la direction de Paimpont (près de Rennes) pour suivre la formation Ecobio. Avec moi, Louise (qui part pour le même programme que moi mais sur Crozet) et Lise (ma binôme sur Kerguelen). Au cours de cette préparation nous avons pu rencontrer l’ensemble des scientifiques qui coordonnent le programme Ecobio. Chacun a sa spécialité et se charge donc de nous transmettre un maximum de ses connaissances. Nous tentons donc d’emmagasiner un maximum d’informations concernant les espèces animales et végétales sur lesquelles nous travaillerons une fois sur place. C’est aussi le moment de se plonger dans les protocoles que nous aurons à suivre pendant la durée de l’hivernage.

Ces 8 semaines sont aussi l’opportunité de rencontrer des gens qui sont déjà partis sur les îles Kerguelen. Ces derniers ne sont pas avares en conseils, anecdotes. Certains y sont partis il y a déjà quelques années et pourtant ils en parlent comme si c’était hier. Une chose est sûre : cette aventure à Kerguelen sera unique et inoubliable.